Photo : Avec un accès minimal à l’eau propre dans la bande de Gaza et la chaleur estivale qui continue, il y a un risque d’épidémie et de déshydratation, 6 juin 2024 © UNRWA
Cet été, en Europe occidentale, on ne cesse de parler de « vagues de chaleur sans précédent ». Selon les médias, les autorités travaillent d’arrache-pied pour aider la population à faire face aux effets néfastes des températures caniculaires et à s’en protéger.
En tant que résident de Gaza, il est difficile de ne pas être amèrement amusé par cette panique.
Après tout, lorsque les températures ont commencé à monter, ma patrie – du moins ce qu’il en reste – s’est transformée en fournaise à ciel ouvert.
Aujourd’hui, en plein cœur d’un autre été méditerranéen chaud et humide, nous n’avons même pas le strict minimum pour nous protéger de la chaleur. Je lis rapport après rapport conseillant aux Européens de rester à l’intérieur, de s’hydrater, d’utiliser de la crème solaire et d’éviter les activités physiques intenses en extérieur. Pendant ce temps, à Gaza, nous n’avons ni maison, ni eau, ni ombre, ni échappatoire.
Nous ne pouvons pas « limiter les activités en plein air » car tout ce dont nous avons besoin pour survivre se trouve à l’extérieur : les camions-citernes qui viennent deux fois par semaine si nous avons de la chance, les distributions de nourriture, le bois de chauffage à ramasser. Nous ne pouvons pas « rester hydratés » car l’eau est rare, rationnée et souvent polluée. Et la crème solaire ? Nous aurions plus de chances d’en trouver sur Mars.
L’été à Gaza était autrefois une saison joyeuse, avec des journées à la plage, des jardins dans les cours, une brise sous les arbres. Mais les attaques israéliennes incessantes l’ont transformé en une saison de tourments. Les plages sont bloquées. Les cours sont en ruines. Les arbres sont réduits en cendres. Israël a rasé la majeure partie de Gaza, transformant la terre en poussière, les parcs en déserts et les villes en cimetières. Gaza est désormais une ville sans ombre.
La chaleur elle-même est devenue un tueur silencieux. Mais l’été meurtrier de Gaza n’est pas naturel. Ce n’est pas non plus une simple conséquence du changement climatique. C’est le fait d’Israël. Les bombardements incessants ont généré des émissions de gaz à effet de serre et d’épaisses couches de poussière et de polluants. Les incendies brûlent sans contrôle. Les tas d’ordures pourrissent au soleil. Les terres agricoles sont rasées. Ce qui était autrefois une crise climatique est désormais une cruauté climatique, orchestrée par la force militaire.
L’ironie est amère : l’Europe attribue ses vagues de chaleur à un « dôme de chaleur » météorologique, une bulle d’air chaud emprisonné. Mais Israël nous a piégés dans un autre type de dôme : des tentes en nylon surpeuplées qui agissent comme des fours au soleil. Ces camps ne sont pas des abris, ce sont des chambres de cuisson lente. Ils emprisonnent la chaleur, les odeurs nauséabondes, la peur et le chagrin. Et nous, les déplacés, n’avons nulle part où aller.
L’été n’est plus une saison que j’attends avec impatience. C’est un dilemme que je dois endurer. Le soleil est suspendu au-dessus de ma tête comme une sentence. Il brûle le sol sous mes pieds, à tel point que même mes sandales brûlent. Je ne peux pas rester dans la tente pendant la journée. Il fait trop chaud pour respirer. Mais je ne peux pas non plus rester dehors longtemps. Je dois partir. Je dois faire la queue pendant des heures pour obtenir de l’eau, puis à nouveau pour obtenir de la nourriture, sous un soleil si brûlant que je crains autant l’insolation que la famine.
On nous dit de faire la queue avec discipline, mais comment faire la queue quand votre corps est faible et que votre enfant a faim ? Je me fraye un chemin à travers la foule, non par cupidité, mais par désespoir. Je cherche du combustible : du bois, du plastique, tout ce qui peut brûler. Je retourne à ma tente pour m’effondrer dans une chaleur encore plus intense.
Les nuits ne sont pas plus clémentes. La plupart de la population de Gaza étant désormais entassée près du littoral, les tentes se réchauffent mutuellement. Contrairement à la terre, elles ne se refroidissent pas après le coucher du soleil. Elles emmagasinent la souffrance. Je sens le souffle de mes voisins, leur sueur, leur chagrin, comme si la chaleur elle-même était contagieuse. Les insectes nous envahissent par vagues, attirés par la chaleur. Ma mère et ma sœur les chassent comme s’il s’agissait des bombes que nous entendons encore au loin.
Vivre dans une tente pour la deuxième année consécutive devrait rendre les choses plus faciles. Ce n’est pas le cas. Cela empire les choses.
L’été dernier, après avoir été déplacés de notre maison à l’est de Khan Younis, nous avions au moins une certaine variété alimentaire. Il y avait encore des livraisons d’aide humanitaire. Nous pouvions encore cuisiner. Mais depuis le 2 mars, date à laquelle Israël a de nouveau bloqué l’aide humanitaire, nous sommes plongés dans une famine provoquée.
Les États-Unis et Israël mettent désormais en scène un théâtre grotesque appelé « Fondation humanitaire de Gaza » pour distribuer de la farine. Ils placent des sacs de farine dans des cages métalliques, comme si nous étions du bétail. Les gens sont obligés de faire la queue pendant des heures à ciel ouvert, privés d’ombre et de dignité. Les soldats leur crient de retirer leur chapeau, de s’allonger face contre terre sur l’asphalte brûlant, de ramper pour obtenir de la nourriture. Après tout cela, vous pouvez encore repartir les mains vides, si vous n’êtes pas abattu avant.
Ils ont abaissé le niveau de notre existence. Nous ne demandons plus la sécurité ou un abri. Nous demandons seulement : avons-nous assez de nourriture pour tenir jusqu’à la fin de la journée ?
Israël a combiné tous les moyens de privation : chaleur sans ombre, soif sans eau, faim sans espoir. Il n’y a pas d’électricité pour faire fonctionner les stations de dessalement ou de pompage. Pas de carburant pour refroidir le peu d’eau qui arrive. Pas de farine, pas de poisson, pas de marchés. Pour beaucoup d’entre nous, cet été pourrait être le dernier.
Ce n’est pas une crise climatique. C’est le climat utilisé comme une arme – une guerre menée non seulement avec des bombes et des balles, mais aussi avec la chaleur, la soif et une mort lente. Gaza n’est pas seulement en feu – elle est étouffée sous un soleil artificiel. Et le monde regarde, appelle cela un « conflit » et vérifie les prévisions météorologiques.
Traduction : AFPS




