Photo : Construction d’une colonie israélienne à Givat Hatamar, Cisjordanie, 2017 © Ronan Shenav
Pour la première fois, le cabinet israélien a voté en faveur d’une prise en charge exclusive de l’enregistrement des terres dans la zone C de la Cisjordanie occupée, une décision qui a été décrite comme une véritable annexion par Israël de la majorité des terres palestiniennes.
En vertu de l’accord d’Oslo de 1995, la Cisjordanie a été divisée en trois zones, l’Autorité palestinienne (AP) exerçant un contrôle limité sur les zones A et B, tandis qu’Israël a pris le contrôle total de la zone C. Cette dernière zone représente 60 % de la superficie totale de la Cisjordanie.
Dimanche, le cabinet israélien a décidé que dans la zone C, Israël prendrait désormais toutes les décisions concernant les terres, et que toute tentative palestinienne de reconnaître des terres à l’aide de son propre registre foncier serait juridiquement nulle.
Selon les médias israéliens, les autorités ont décidé de passer d’un point de vue « tout le territoire est interdit - sauf ce qui est autorisé » à « tout le territoire est autorisé - sauf ce qui est interdit ».
Israël Katz, ministre israélien de la défense, a déclaré que cette décision conduirait au « renforcement, à la consolidation et à l’expansion » des colonies juives en Cisjordanie.
M. Katz et Bezalel Smotrich, le ministre israélien des finances d’extrême droite, ont été les fers de lance de ce vote.
En vertu du droit international, l’ensemble du territoire couvrant les zones A, B et C est une terre palestinienne et toutes les colonies israéliennes qui s’y trouvent sont illégales. La grande majorité des 700 000 colons israéliens vivent illégalement dans la zone C.
Ayed Jafry, un militant de Sinjil, un village qui se trouve principalement dans la zone C, a déclaré que la décision aurait un impact grave sur les droits de propriété des Palestiniens.
« Ils parlent en fait d’annexion et de contrôle de la Cisjordanie », a-t-il déclaré à Middle East Eye. « Nous recommencerons à traiter directement avec l’occupation en ce qui concerne ces terres. »
M. Jafry a déclaré que la nouvelle politique ouvrirait la voie aux groupes de colons israéliens pour saisir des terres sans aucun contrôle ni responsabilité.
Avant même l’entrée en vigueur de cette politique, la vie des Palestiniens de la zone C était déjà un véritable enfer.
« Aujourd’hui, un employé de Sinjil loue une maison à l’intérieur de la ville de Ramallah [dans la zone A] pour ne pas manquer son travail. Dans toutes les zones, il y a des barrières, un mur et un étranglement », a déclaré Jafry.
« Même les ambulances sont soumises à des restrictions, de même que la presse. Tout ce qui est palestinien est complètement étranglé ».
Vision messianique
Dans le cadre des accords d’Oslo, il avait été convenu que les trois zones devaient passer sous contrôle palestinien total d’ici à l’an 2000.
Cela ne s’est pas produit et, depuis lors, Israël a déplacé de plus en plus de Palestiniens et installé des colons israéliens sur les terres occupées. Pendant des années, les autorités israéliennes et les groupes de colons ont considéré la zone C comme étant sous le contrôle permanent d’Israël.
Les forces israéliennes ont déraciné des dizaines de milliers d’arbres plantés par des Palestiniens, confisqué du matériel de construction palestinien et démoli des maisons et des structures.
Jafry a pris l’exemple d’al-Mughayyir, un village situé pour l’essentiel dans la zone C. Ce village s’étend sur une quarantaine de kilomètres. Alors que le village s’étend sur environ 40 000 dounams de terre, ses habitants palestiniens ne possèdent que 1 200 dounams.
À Deir Dibwan, seuls 2 000 dounams sur 70 000 appartiennent à des Palestiniens.
« L’occupation a classé le reste des terres dans la catégorie C », explique M. Jafry.
Yesh Din, une organisation israélienne qui fait campagne pour les droits humains en Palestine occupée, a déclaré à MEE que la décision du cabinet était « un pas dangereux vers la réalisation de la vision messianique du gouvernement annexionniste et constitue une violation flagrante du droit international ».
En vertu du droit humanitaire international, une puissance occupante ne peut apporter de changements permanents à un territoire occupé, y compris l’annexion, la construction de colonies et de structures permanentes, ou la confiscation de biens.
Israël a donc violé le droit international en Cisjordanie pendant des décennies.
« Cette décision ouvre la voie à la "régularisation" de la propriété de centaines de milliers de dounams de terres en Cisjordanie », a déclaré un porte-parole de Yesh Din.
« Sa mise en œuvre devrait porter atteinte aux droits humains de centaines de milliers de Palestiniens qui pourraient perdre leurs droits sur leurs terres. »
Les Palestiniens doivent se battre seuls
En réponse à l’annexion de facto de la zone C par Israël, l’Autorité palestinienne a formulé en 2009 le plan Fayyad.
Nommé d’après l’ancien premier ministre Salam Fayyad, ce plan visait à renforcer les institutions pour tenter de construire un État palestinien à partir de la base.
Dans ce cadre, des efforts ont été déployés pour enregistrer la propriété palestinienne des terres dans la zone C.
L’Autorité palestinienne a créé un ministère spécialisé, chargé notamment de superviser la cartographie et la documentation foncières et de gérer l’enregistrement des terres dans la zone C. Certains documents datent de l’époque de la domination ottomane en Palestine, ainsi que du contrôle exercé par la Jordanie sur la Cisjordanie entre 1948 et 1967.
En vertu de la nouvelle politique israélienne, ces documents ne pourront plus être utilisés dans les procédures juridiques et administratives israéliennes.
La directive va plus loin : le personnel de l’Autorité palestinienne se verra interdire l’accès à la zone C, tandis que l’Union européenne et les autres acteurs internationaux qui ont soutenu la construction d’écoles et de bâtiments palestiniens dans la zone C ne pourront plus fournir d’aide ou d’assistance.
« Les grandes institutions internationales, l’ONU, l’UE, les ministères et les ministres palestiniens viennent prendre des photos et exprimer leur sympathie », a déclaré M. Jafry.
« Mais sur le terrain, le peuple palestinien est laissé seul face à la tyrannie du colonialisme et au terrorisme d’État organisé. Personne ne se tient à ses côtés. »
Malgré l’absence d’aide internationale, M. Jafry a déclaré que les militants locaux et les municipalités se réuniraient pour discuter de la nouvelle décision.
« Nous nous efforcerons de lancer un mouvement populaire contre cette question », a-t-il déclaré.
Traduction : AFPS